Didier Aït : À la croisée du management et de l’intelligence artificielle

 

À la croisée du management et de l’intelligence artificielle.

 

L’invité 16h44 du jour œuvre depuis plus de 10 ans à la rencontre des intelligences artificielles et du management. Auteur de deux ouvrages sur le sujet, cofondateur et président d’Optim’ease, expert en systèmes d’information depuis plus de 25 ans, Didier Aït s’est donné pour mission d’accompagner les dirigeants dans la transformation digitale de leur entreprise. Toujours soucieux d’élargir les horizons, il dispense des séminaires impactants à bord de Symdbad, son bateau, d’où l’on ressort, comme l’aventurier après son périple, enrichi d’une vision nouvelle, de sens et de valeurs.

 

Didier, tu as fait de l’IA ton sujet de prédilection. Peux-tu nous parler de ta vision du management ? De quoi, selon toi, l’IA peut-elle être le vecteur ? 

 

Avant tout, ce qui m’intéresse et constitue le point de mire de ma recherche, c’est la création d’une richesse partagée. A titre personnel, j’ai identifié des valeurs et des principes auxquels je m’interdis de déroger. L’un d’eux est de ne pas faire cavalier seul, de ne pas avancer dans les sphères professionnelles comme privées aux dépens des autres. Il me semble que toute réussite perd de son caractère joyeux dès lors qu’elle est exclusivement individuelle. L’esprit d’équipe, le collectif, l’accomplissement partagé sont pour moi indispensables et fondent ma vision du management.

 

Le monde de l’entreprise étant un monde de sociabilités, il devient pour quiconque y met les pieds une part essentielle de son temps. En cela, il est nécessaire de concevoir le lieu de travail et plus généralement la réussite de l’entreprise comme le terrain d’accomplissement de chacun. C’est d’autant plus précieux, il me semble, que le monde allant, nous sommes de plus en plus vampirisés par l’immédiateté, aspirés plutôt qu’inspirés par le rythme de la vie sociale et économique, la quête de profits, la performance. Il n’est pas toujours simple de distinguer nos intérêts avec ceux du groupe pour lequel nous travaillons, mais c’est en réalité salvateur tant pour les individus que pour l’entreprise. 

 

Passionné de collaboration et de réciprocité, je vois dans l’intelligence artificielle un outil précieux. Si l’IA a pu à son arrivée donner à penser qu’elle se passerait de l’humain, on constate en fait l’opposé : elle ne peut révéler ses avantages les plus importants que si elle est associée à la réflexion humaine et à l’intelligence collective. 

 

En effet, à contre-courant des discours qui mettent en concurrence l’IA et l’intelligence humaine, tu t’empares de cet outil révolutionnaire pour réinsuffler dans le rôle du dirigeant les principes essentiels de la fonction : la capacité à emmener ses équipes, à construire une vision d’ensemble et une stratégie originale. Peux-tu développer ton idée de “manager compatible IA” ? 

 

Je pense que l’IA doit amener avec elle une réflexion sur la cognition humaine, sur notre capacité à penser, mais aussi sur l’environnement propice au déploiement des talents, autrement dit le cadre favorable pour que se mette en place le processus d’intelligence. 

 

Si les nouvelles technologies augmentent la productivité, il est important de préserver le savoir-faire, la singularité d’une entreprise, sa vision originale. 

Une entreprise se nourrit de son histoire mais aussi de ses équipes, de leur énergie particulière. L’IA ne peut pas intégrer ces données. Il revient au manager de ressentir, d’observer et surtout d’apporter à ses équipes toute la nourriture intellectuelle dont son équipe à besoin, afin que chacun puisse apporter sa pierre à l’édifice et mettre ses spécificités et ses talents au service de l’objectif collectif. Évidemment, le salaire reste une donnée importante, car nous ne vivons pas hors du monde, mais la compatibilité entre la mission et ses valeurs est devenue un critère au moins aussi important dans ce qu’un collaborateur attend de son entreprise. 

 

C’est en cela que le rôle du manager est fondamental, précisément sur cette question de l’articulation entre forces humaines et forces technologiques. Il lui incombe la tâche périlleuse de mettre à la juste place ces deux puissances, d’aiguiller ses équipes afin qu’elles ne soient ni accablées, ni découragées par la concurrence mais au contraire portées par les possibles qu’elle ouvre. Il doit accompagner ses équipes à identifier et à déployer les compétences inaccessibles à l’IA : l’originalité, la particularité, la vision transversale, l’intuition, etc. L’appréhension des enjeux réels, aussi. Là où l’intelligence fournit des données froides, automatisées – néanmoins très utiles – une équipe performante saura contextualiser, moraliser, mettre en relation, estimer les apports réels d’un projet. Le projet va-t-il dans le sens de l’humain, dans le sens de l’histoire telle qu’on souhaite l’écrire ? L’IA sans ce supplément d’âme humaine ne vaut probablement pas grand-chose. Je suis convaincu, en revanche, qu’elle constitue une base précieuse d’informations à partir desquelles se nourrir. 

 

Disons que si l’IA donne la position des côtes, des autres navigateurs et des rochers, il revient au dirigeant de sentir le vent, de connaître son bateau, son équipage, et de choisir le bon itinéraire. 

 

En quoi l’IA vient-elle bouleverser le management traditionnel ? 

 

Le chef d’entreprise n’est plus considéré pour sa seule compétence technique si l’IA peut le concurrencer sur ce terrain. C’est un nouveau champ qui s’ouvre à lui, celui de l’intelligence collective. Son entreprise réussira par la valeur que le dirigeant et ses équipes parviendront à ajouter à celle de l’IA. Il lui faut plus que jamais faire preuve de finesse et de perspicacité, dans ses décisions et dans la gestion de son équipe. 

 

L’IA peut être un bon assistant, voire un équipier. Elle ne doit pas être considérée comme l’oracle qui répond à tout et prédit l’avenir, sans que ses apports ne soient jamais questionnés, mais elle est une force nouvelle avec qui composer. On peut imaginer une réunion où viendrait s’ajouter au brainstorming habituel les données de l’IA, ses nouvelles approches, que l’équipe pourra mobiliser à loisir, personnaliser, intégrer. Je crois profondément qu’il faut penser l’IA en tant que support pour faire émerger une intelligence collective nouvelle. 

 

Finalement, au regard des missions que tu mènes, quel est selon toi le défi qui nous attend ? 

 

J’en reviens à l’enjeu du bien-être au travail, en tant que groupe sain et performant eti individuellement en tant que personne accomplie sereine, stimulée. Cet alignement est une condition nécessaire à l’émergence de ce supplément de vie que l’on doit associer à l’IA. L’émulation intellectuelle n’advient pas lorsque le groupe est fatigué, frustré, stressé.

Seule une équipe respectée et confiante saura extraire le meilleur de l’IA, par le déploiement d’un imaginaire collectif riche. Lorsqu’un manager met à profit l’intelligence collective au sein de son entreprise, la déflagration est incroyable !

 


La mise en application 16H44

Pour faire le premier pas vers l’intelligence artificielle :

  • Imagine des sujets et des espaces de discussion collective où l’IA aurait sa place.
  • Liste les valeurs, les principes qui définissent ton entreprise et en font son originalité.
  • Choisis le premier “manager compatible IA” de ton entreprise !

 

Pour s’engager plus encore dans la transformation digitale

3 commentaires sur “Didier Aït : À la croisée du management et de l’intelligence artificielle”

  1. Bonjour,
    Tout en reconnaissant l’expérience de l’auteur, cet interview et les idées qu’il véhicule me plonge dans une grande perplexité.
    Premièrement, je l’avoue, je déteste le mot « management » ; peut-être est-ce dû aux nombreux rayons des librairies qui traitent du sujet en décrivant à chaque fois ce que devrait être un manager ; peut-être que notre monde en crises aimerait que d’autres alternatives de gouvernance des équipes voient le jour ; peut-être que ce mot fourre-tout cache une idéologie délétère qui ne dit pas son nom. Il y a dans tous ces « peut-être », des rencontres, des retours d’expériences et à chaque fois des voies sans issues qui, derrière un vernis de valeurs humaines, génère plus de QVCT (Qualité de Vie et Conditions de travail).
    Deuxièmement, je reste un peu sur ma faim devant l’absence d’exemples concrets. De ce fait et après plusieurs lectures, j’avoue mon incapacité à comprendre pourquoi l’IA est « un outil précieux ». Toutefois, constatant la forte appétence du management pour le pouvoir, je m’inquiète déjà des dévoiements possibles.
    Troisièmement, ma vue se trouble, mes synapses disjonctent à la lecture d’un ensemble de termes en relation avec le cerveau : « cognition », « capacité à penser », « réflexion humaine », « intelligence collective », etc. qui mériterait quelques éclaircissements. Mon expérience mais aussi diverses rencontres m’amènent à faire le constat de l’impensé dans les organisations. Un exemple concret serait le questionnement. En effet les interrogations sont rarement mémorisées au sein des organisations, ce qui oblige à chaque fois à réinventer la poudre. Oups ! j’ai parlé de mémoire mais où est-elle ? Où se trouve la mémoire d’une organisation ?
    Quatrièmement, on peut craindre un phénomène d’homéostasie (freins organisationnels) face à la mise en place d’un tel outil avec en filigrane une dépossession des compétences. J’entends la sincérité de l’auteur pour l’humain mais j’aurai aimé un retour plus palpable des salariés sur l’impact de l’IA dans leur service.
    Ne nous leurrons pas, l’IA, qui n’a pas d’âme et sous des atours de plus en plus séduisants, s’est déjà infiltrée dans le fonctionnement de notre monde (algorithmes, pilotage de décisions, etc.). En ce sens, cet interview est venu nous le rappeler. Toutefois, une question me taraude : « avec de tels outils, comprenons-nous bien les enjeux éthiques qui se jouent ? ». Je ne suis pas certain ! Aujourd’hui nous rions à gorge déployée de la possibilité que l’IA licencie un collaborateur, demain nous pleurerons. Le réveil des consciences est à ce prix à moins que…

    1. Cher lecteur,

      Je comprends que cet interview et les idées qui y sont véhiculées suscitent en vous une certaine perplexité. Permettez-moi de répondre à chacune de vos préoccupations.

      Tout d’abord, vous exprimez votre aversion envers le mot « management » en raison de la multitude de livres traitant du sujet qui semblent décrire ce qu’un manager devrait être, ou d’une expérience mal vécue.
      Vous soulevez également la possibilité de rechercher d’autres alternatives de gouvernance des équipes dans notre monde en crise. Il est vrai que le concept de management peut parfois être galvaudé et que d’autres approches méritent d’être explorées. Cependant, il est important de noter que le management, lorsqu’il est exercé de manière efficace et humaine, peut contribuer à améliorer la qualité de vie et les conditions de travail des individus. Dans mon dernier ouvrage « Repenser les organisations à l’ère de l’Intelligence Artificielle : Quel avenir pour nos PME et PMI ? je réserve tout un chapitre au management et à la gentillesse la (vraie !) je vous encourage à le lire, car il vous donnera peut-être une autre vision du management. Mais je suis d’accord, que dans beaucoup d’entreprises, il sera nécessaire de supprimer les pathologies du formalisme hiérarchique, de travailler sur la confiance plutôt que sur la peur, de mettre en place une démocratie de l’information suffisamment puissante, pour s’adapter au changement permanent lié entre autre à la venue de ces nouvelles technologies de l’information.

      L’idée ici est d’utiliser l’IA comme un outil à forte valeur ajoutée, pour soutenir cette métamorphose de l’entreprise et permettre aux managers de prendre des décisions éclairées et de favoriser une meilleure collaboration au sein des équipes.

      En ce qui concerne l’absence d’exemples concrets dans l’interview, je comprends votre frustration. L’IA en tant qu’outil précieux peut revêtir de nombreuses formes, et ses applications concrètes varient en fonction des besoins et des contextes spécifiques. Cependant, il est important de noter que l’IA peut aider à automatiser des tâches répétitives, à analyser de grandes quantités de données pour en tirer des informations pertinentes et à faciliter la prise de décisions basées sur des preuves. Ces capacités peuvent être particulièrement utiles dans des domaines tels que l’optimisation des processus, l’analyse des risques ou encore la personnalisation des services. Pour vous donner deux exemples concrets, je peux parler de GEO 4 I une entreprise spécialisée dans le renseignement satellite(s) et qui utilise l’IA comme un lanceur d’alerte, l’expertise humaine est toujours présente, c’est l’expert qui prend la décision et déclenche les mesures appropriées. Le deuxième exemple est celui d’Optim’ease la société que je représente, et qui se sert de l’IA pour auditer du code informatique, et nous aider a concevoir des contrats intelligents liés à la blockchain. Dans les deux cas l’IA vient en renfort et permet d’optimiser les processus existant sans remplacer l’apport humain.

      Vous mentionnez également votre perplexité concernant les termes liés au cerveau tels que la cognition, la réflexion humaine et l’intelligence collective. Ces termes font référence à la capacité de l’IA à imiter certains aspects du fonctionnement de l’esprit humain. Bien entendu, il est important de reconnaître que l’IA ne peut pas reproduire aujourd’hui, la pensée et la conscience humaines. Néanmoins, elle peut être programmée pour analyser des données, reconnaître des schémas et résoudre des problèmes complexes. Je vous invite également à lire au chapitre un de mon livre les travaux de Bernard Georges sur la pyramide cognitive. En ce qui concerne la mémoire d’une organisation, il est vrai que la gestion des connaissances et la préservation de l’expérience collective sont des enjeux importants. Ces enjeux peuvent avoir aussi une portée géopolitique stratégique, il est nécessaire d’avoir une vigilance toute particulière, car l’IA mal utilisée peut être un espion industriel d’où la question de la souveraineté numérique. Ne nous voilons pas la face l’IA peut jouer un rôle dans la captation et la conservation de l’information, et la transcrire à d’autres organisations sans le consentement de ses utilisateurs, d’où la vigilance sur le choix des algorithmes et des hébergements. C’est grâce à ces précautions que les organisations pourront capitaliser sur leurs connaissances accumulées au fil du temps et améliorer leurs courbes d’expériences.

      Vous soulevez également des inquiétudes quant aux éventuels freins organisationnels et à la dépossession des compétences liés à l’implémentation de l’IA.
      Ces préoccupations sont légitimes, et il est essentiel de prendre en compte les facteurs humains dans l’intégration de toute nouvelle technologie. L’IA ne remplace pas les compétences humaines, mais peut plutôt les compléter en automatisant certaines tâches routinières et en fournissant des informations pour la prise de décisions (décider juste). L’humain reste au cœur du processus et conserve un rôle crucial dans l’interprétation des résultats et dans la gestion des aspects éthiques et sociaux. Mais pour arriver à préserver cette dynamique, faut il que le dirigeant prenne ses responsabilités et soit en capacité de mettre en place une vision sur le long terme. Cela donne le cap et rassure les collaborateurs, qu’il soit aussi en mesure de définir les valeurs et la mission de l’entreprise avec l’aide de ses collaborateurs.

      Cette démarche doit donner du sens et permettre une cohérence intellectuelle dans l’entreprise. J’aime rappeler que la finalité d’une entreprise n’est pas tant de s’équiper de technologies digitales, que de faire perdurer son savoir-faire, ses valeurs et son originalité, pour créer une richesse partagée. Mais cela ne peut réussir qu’avec une équipe soudée et en phase avec la politique générale initialisée par son dirigeant.

      Enfin, vous évoquez les enjeux éthiques liés à l’IA et la possibilité de dérives potentielles. Vous avez raison de souligner l’importance de comprendre et de prendre en compte ces enjeux. Les décisions prises dans le domaine de l’IA doivent être guidées par des principes éthiques solides, tels que la transparence, la responsabilité et l’équité. Les gouvernements, les organisations et les chercheurs doivent travailler activement à l’élaboration de cadres réglementaires et de lignes directrices pour encadrer le développement et l’utilisation de l’IA de manière responsable.

      En conclusion, il est essentiel de reconnaître les préoccupations et les questions soulevées par l’IA. Toutefois, il est également important de garder à l’esprit que l’IA peut apporter des avantages significatifs lorsqu’elle est utilisée de manière réfléchie et éthique. Il revient à nous tous, en tant que société, de veiller à ce que son intégration se fasse de manière responsable, en tenant compte des impacts sur les individus, les organisations et la société dans son ensemble.
      L’IA est une chance pour toutes les entreprises ayant une vision et une stratégie adaptée aux changements permanents, versus si votre entreprise manque de vision et de stratégie globale adaptée aux changements permanents l’IA façonnera vos objectifs et prendra le contrôle de votre entreprise ! Ne tombons pas dans les méandres d’une stratégie unique celle des GAFAM qui risque de nous emprisonner dans la dictature de l’immédiateté, essayons de garder notre libre arbitre et réfléchir comment utiliser du mieux possible ces nouvelles technologies.

      Bien à vous

      Didier Aït

  2. Merci pour ces échanges nourris, sur un sujet qui interpelle, d’autant plus qu’un changement de paradigme, c’est vraiment complexe. C’est l’esprit 16h44,
    Halévy expliquait ce qu’est un chagement de pardiigme avec humour, en disant souvenez vous du jour où vous etes partis à la maternite pour la naisssance de votre premier enfant. et du retour à la maison avec un bebe. Entre la vie d ‘avant et celle d’apres, c’est ca le chagement de paradigme 🙂

    Par rapport à l’exercice de style 16h44, pas simple quand même de résumer 2 ouvrages solides, des années d ‘expérience et de réflexion, en quelques lignes et d’y décrire les expériences menées. Merci Didier de l’avoir fait dans ton commentaire riche.

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