L’Expert 16 h 44
Après une expérience en marketing, Henry Dufourmantelle met à profit son MBA HEC et sa compétence “Ressources Humaines” en prenant en charge des responsabilités techniques puis stratégiques au sein de grands groupes en France et aux Etats-Unis. En tant que responsable du Campus Management, il a supervisé les relations entre AREVA et les grandes écoles pour assurer le recrutement de 10 000 cadres par an. La présidence récente de Emploi Nouvelle Donne* vient enrichir encore son expertise.
Père de 4 enfants et dix fois grand-père, sportif et depuis toujours militant très investi dans la vie associative locale et nationale, Henry a répondu aux questions de 16h44 avec passion pour nous parler du « pourquoi » d’une action ou d’un projet.
Henry, quelle conviction souhaites-tu partager avec les managers qui nous lisent ?
L’une des choses qui me paraissent le plus important lorsqu’on se lance dans un projet, c’est de pouvoir l’envisager à long terme et d’être capable de déterminer précisément son cadre. Lorsque l’on initie quelque chose, il faut être clair dès le départ sur le paysage que l’on souhaite proposer, tant pour nous-même que pour les destinataires de la démarche. Il faut concevoir son projet un peu comme une photo sur laquelle apparaissent des personnages, une situation donnée, mais aussi, moins consciemment, tout un environnement, une multitude de signaux, indicibles mais significatifs.
Dans quelles circonstances est-il particulièrement important d’appliquer cette approche ?
C’est valable dans à peu près toutes les situations dès lors qu’il faut se projeter dans l’avenir. L’idée est de ne pas se focaliser sur certains paramètres au risque d’en oublier d’autres tout aussi importants.
Prenons par exemple le cas d’un jeune indécis quant à son orientation professionnelle. L’enjeu n’est pas seulement de choisir un métier, plombier, prêtre ou architecte, il faut se poser la question du type de vie que cette personne veut mener, identifier ses réelles envies, ses besoins, comprendre ce qui lui importe profondément. Si le choix est incarné, la décision aura bien plus de force.
Idem lorsqu’un citoyen doit faire un choix politique, voter par exemple. Si l’on ne voit plus très bien où le vote mène, si l’on ne parvient pas à se projeter dans un projet sociétal fort, on ne vote plus.
Plus concrètement encore, lorsqu’un manager veut continuer à peser alors qu’il n’est plus productif, il doit avant tout clarifier pourquoi il veut s’engager. C‘est le pourquoi de son engagement qui lui donne la force d’agir et qui permet aux autres de comprendre son engagement, et donc de le suivre.
Pourquoi faut-il nécessairement se projeter, quels bénéfices en tirons-nous ?
Parce que même s’il est agréable, le présent ne se suffit pas. Ce sont les transformations profondes, les évolutions, qui suscitent l’intérêt et permettent de rallier les forces. Surtout, afficher le long terme révèle la cohérence d’un projet, et permet de désamorcer les incohérences avant même qu’elles ne surviennent.
Bien sûr, se projeter n’interdit pas de changer de cap au besoin. Parfois, l’environnement évolue brutalement et des militants, très engagés dans une cause, sont amenés à mettre en question des convictions profondément ancrées. Ce peut être le cas, par exemple, des générations qui ont vécu pour acquérir la réussite matérielle, pour entretenir une croissance prometteuse, et qui aujourd’hui prennent conscience que cet idéal produit des injustices et détruit la planète.
Plutôt que de s’enfermer dans les certitudes dépassées, prenons en compte les faits, tirons-en les conclusions et construisons un nouvel horizon. Si le long terme est par définition fait pour durer, il n’est pas immuable. Il ne doit pas être un carcan. Même si l’erreur est toujours possible, la remise en question est souvent bien plus féconde que de tenter d’avancer coûte que coûte dans une situation figée.
Que vous a apporté votre carrière de DRH sur ce point ?
En matière de gestion de carrières
J’ai recruté un très grand nombre de cadres supérieurs dont je suivais la trajectoire professionnelle. J’ai pu constater très souvent, bien trop souvent pour que ce soit un hasard, que les carrières les plus réussies étaient menées par celles et ceux qui avaient affiché très tôt un cap clair. Je me souviens en particulier d’un jeune cadre dont le rêve était de travailler aux Etats-Unis. Il a tout naturellement capté une opportunité d’expatriation, et est aujourd’hui à la tête d’une entreprise américaine florissante. Comme si le fait de l’affirmer, de l’afficher, commençait à rendre le projet vivant.
D’un point de vue plus stratégique
J’ai assisté à de nombreux plans stratégiques, à des fusions-acquisition, à des rachats d’usines ou à des fermetures de sites.
A chaque fois qu’une décision était annoncée sans que le contexte et les perspectives ne soient clairement envisagées, le plan s’enlisait vite. A chaque fois, comme s’il s’agissait d’une loi !
Quel conseil pour les managers qui veulent activer “le réflexe du long terme” ?
Déjà, je dirais qu’il faut toujours mettre en regard le présent et l’avenir, imaginer comment ce présent risque d’évoluer. C’est-à-dire qu’à chaque fois que l’on annonce quelque chose, que l’on prend une décision, il faut être capable de répondre aux questions : pourquoi est-ce que je le fais ? Ou cela va t-il mener ? Et surtout, ne pas garder les réponses pour soi mais les présenter de manière claire aux collaborateurs, à l’équipe. Être en mesure de leur présenter un plan cohérent à long terme est fondamental.
Ensuite, il me semble nécessaire de proposer des moments de validation et de programmer des temps d’évaluation de l’objectif. Célébrer les succès, comprendre les faiblesses, s’assurer que tout le monde a toujours en tête le cap à suivre, au-delà de ses propres missions. Ce sont des moments privilégiés pour réajuster si nécessaire les directives.
Enfin, compte tenu de l’importance accrue des médias, on se sent parfois obligé ou on se laisse porter par des discours ambiants. Il est bon je pense de ne pas se laisser enfermer par des discours convenus.
16H44 L’application
Ajoutez du sens et de la vision à vos projets.
Lorsque vous initiez une action, prenez le temps de communiquer avec vos équipes et partenaires sur le plan à long terme, les objectifs, le cap.
Inscrivez chaque décision importante dans une trajectoire : comment a t-elle émergé, quelle application aujourd’hui, quelles conséquences demain ?
Pour mieux vous projeter, vous intéressez-vous à ce que font vos pairs, les leaders d’excellence ? Ou trouvez-vous vos inspirations ? Quels domaines gagneriez-vous à explorer davantage ?
Comment envisagez-vous votre travail dans le futur ? Est-il compatible avec vos projets personnels ? Trouvez-vous de la cohérence entre les différents aspects de votre vie ?
*Cette association propose une méthode d’aide à la recherche d’emploi pour les cadres, du début jusqu’au retour avec une méthode fondée en mixant l’accompagnement individuel et collectif : https://www.emploi-nouvelledonne.com/
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Quelle vision enrichissante ! Avec des managers dotés de cette clarté objective, les entreprises sont performantes dans une motivation apaisée car chacun sait où il va en adhérant à la ligne conductrice. Bravo !
Je voudrai réagir en contrepoint à cet l’interview qui me plonge dans la perplexité.
Je souhaiterai me focaliser ici uniquement sur le projet d’entreprise. A ce titre, si vous me permettez l’analogie, le dirigeant d’entreprise est à l’image de ce capitaine de bateau (petit ou grand), pour arriver à bon port il doit pouvoir naviguer dans les meilleures conditions. Certes quand la mer est calme avec une bonne visibilité on peut imaginer arriver dans les délais. C’était hier ! Aujourd’hui, à l’image de notre monde, la mer est chaotique avec une visibilité extrêmement réduite. Penser « court terme » ou « long terme » n’a pas de sens, seul compte l’immédiateté car le chaos est devenu permanent.
Ce que le dirigeant a oublié c’est que le capitaine navigue avec l’étoile via des instruments. Est-ce à dire que cette étoile n’existe pas dans le monde entrepreneurial ? Que dire alors de cette étincelle créatrice, de cette source d’inspiration qui a présidé à la création de l’entreprise ? Cette source est productrice de sens, la signification que l’on limite bien trop souvent à sa raison d’être. Il s’agit ici d’une vision très statique. Que dire alors des 2 autres acceptions du mot « sens » : la direction et la sensation ? La direction va être le chemin à suivre et la sensation l’ambiance, la vie impulsée par cette source (étoile) qui pourra être partagée par tous.
Aujourd’hui le dirigeant est cantonné à l’immédiateté mais avec une magnifique opportunité de se reconnecter à l’étoile de son entreprise. S’il y a bien quelque chose à réactiver c’est surtout cette reconnexion ! Et c’est bien le drame des fusions-acquisitions, ou des rachats, que de se projeter au lieu d’expliquer le POURQUOI aux salariés. Pourquoi notre entreprise existe ? Ou plus exactement « qu’est-ce que cette entreprise va apporter au monde ? ». Cette entrée dans le 21ème siècle incline à revisiter nos fondamentaux ; et considérer « l’étoile » de l’entreprise comme une re-source pourrait-être une piste de renouveau entrepreneurial.