« Développez votre relation avec l’enseignement »
L’Expert 16H44
Le proviseur entrepreneur
Précurseur dans le domaine des relations entre l’école et l’entreprise, Marc Telliez est l’un des premiers proviseurs à avoir fait partie d’un club d’entreprises. Professeur dès 19 ans, il participe à 21 ans à la création du bac professionnel en logistique et distribution, et voit rapidement augmenter le nombre des entreprises partenaires. Après avoir enseigné la plongée en Polynésie Française, il revient en métropole comme chef d’établissement et ne cesse, depuis, d’initier avec passion des réalisations originales et efficaces pour connecter les entrepreneurs à leur territoire.
Dans l’entretien qui suit, il donne quelques clés pour penser les liens avec les établissements d’enseignement de votre territoire.
Marc, d’où te vient cet intérêt pour la relation école-entreprise ?
En tant que proviseur, je n’ai pas tout de suite donné à cette connection l’importance qu’elle mérite. Je voyais la relation école-entreprise avec mes propres filtres, c’est-à-dire cantonné à la sphère enseignante. Je cherchais des stages, j’envoyais des plaquettes, mais c’était une recherche à sens-unique, en quelque sorte. Et puis j’ai eu l’occasion de discuter avec un entrepreneur, un jour, et j’ai été frappé par le fait que nos univers étaient déconnectés, que nous ne nous connaissions pas, alors que nous avions des problématiques communes.
Je crois à la force des liens qui se créent, alors j’ai commencé à faire le tour des clubs du secteur, même si ça n’était pas facile d’y entrer, parce qu’en tant que proviseur, on ne comprenait pas bien ce que je venais chercher. J’ai rencontré des résistances jusqu’à ce que certains présidents de clubs se montrent plus ouverts, convaincus par le fait qu’il y avait quelque chose à explorer ensemble.
Marc, quel conseil adresserais-tu aux lecteurs et lectrices de 16h44 pour les aider à rencontrer le monde enseignant ?
Je leur dirais d’aller à la rencontre des lycées de leur territoire. Il est très probable que l’établissement proche de chez eux ne les connaisse pas, ou à peine, et qu’il ne sache en rien quels sont leurs besoins. Toutes les rencontres sont bonnes à prendre pour tenter de créer la connection : le directeur, le chef des travaux, un professeur, etc., si vous sentez en lui/elle la fibre de l’entreprise. N’hésitez pas à faire des propositions concrètes, comme accueillir des stagiaires ou assister aux examens. Soyez ouvert et curieux, vous serez reçus avec intérêt et découvrirez de nouvelles ressources à explorer.
En tant que proviseur, que peux-tu proposer concrètement aux entrepreneurs qui viennent à ta rencontre ?
Il y a quelques semaines, une entreprise dans un métier mal considéré est venue nous voir. Toute mon équipe s’est mobilisée. Nous avons échangé pour bien cerner les intérêts de chacun et faire en sorte que tout le monde retire des bénéfices d’une éventuelle collaboration. Cette étape a notamment permis de désagréger les quelques clichés que nous pouvions avoir sur cette profession.
Puis nous avons organisé la visite l’entreprise pour des élèves, qu’ils puissent voir la façon dont le métier s’exerçait réellement. Des vocations sont peut-être nées, en tout cas les cours se sont enrichis de cette expérience, et nos professeurs également. Des managers de l’entreprise ont découvert de nouvelles façons d’intégrer un lycéen, de nouveaux potentiels salariés. L’échange a apporté à chaque partie, et nous allons formaliser une convention de partenariat durable.
La rencontre a enclenché un processus très riche.
Oui, exactement. Finalement, ce processus suit toujours à peu près le même cheminement, qui consiste en plusieurs phases :
Phase 1 : L’observation : on se jauge les uns les autres, mais on ne se connait en fait quasiment pas.
Phase 2 : L’engagement : où l’on manifeste l’intérêt que l’on porte à un éventuel partenariat. J’ouvre mon établissement à l’entreprise, je vais aux réunions, je m’intéresse, je commence à mener une action concrète comme organiser une présentation de l’entreprise pour les élèves, ou une visite. Et puis finalement quelques étudiants bénéficient d’un stage en entreprise, etc. L’engagement s’installe à mesure que chaque partie le nourrit. Cette phase prend nécessairement du temps pour que le partenariat s’installe solidement dans le temps.
Phase 3 : On mesure et on prend mieux en compte les besoins de l’autre, ses contraintes aussi, ou ses forces. On sent la force du réseau, on est plus à même de trouver ensemble une solution à un problème. Si en phase 2 on s’échangeait des services, disons qu’en phase 3 on devient de vrais partenaires.
Phase 4 : enfin, on récolte les bénéfices et on entretient la dynamique. Le partenariat dynamise la présence du lycée comme de l’entreprise sur le territoire, les étudiants trouvent davantage de portes ouvertes, les entreprises gagnent en souplesse pour mener leurs projets, etc. On nous verse de la taxe d’apprentissage même si ce n’était plus le but.
Le recteur m’a confié qu’un entrepreneur lui avait dit “c’est la première fois que je suis contacté par un proviseur qui ne me demande pas la taxe“. L’idée c’est que ce ne soit pas polluant.
Comment mobilises-tu ton équipe et tes collègues dans cette aventure ? On peut penser que la rapprochement avec le privé n’intéresse pas tout le monde.
Le terreau est favorable car on a l’habitude de dynamiques semblables avec la culture ou le sport. Il suffit de transposer cela à l’entreprise.
Pour que ça fonctionne au mieux, j’essaye de laisser le temps à chacun de s’approprier comme il l’entend cette nouvelle dynamique, pour qu’ils/elles y adhèrent d’eux-mêmes, pour qu’ils en perçoivent l’intérêt.
En fait, je suis à peu près le même cheminement qu’avec les entreprises : D’abord expliquer, permettre à chacun de se positionner en simple spectateur pour commencer et donner du sens. Puis mettre en avant des astuces, des pratiques qui mèneront aux premiers succès. Et enfin laisser prendre les échanges, qui se nourrissent eux-mêmes. Si les professeurs constatent l’engouement des élèves, trouvent une matière nouvelle à traiter en classe, etc, c’est gagné.
Madame le Recteur m’a même demandé de communiquer notre action vers d’autres territoires demandeurs pour les aider à aller plus vite en partageant nos expériences et en leur laissant inventer leurs propres conditions de succès.
As-tu des exemples de partenariats enseignement-entreprises ?
Le RH d’une grande entreprise voulait établir un symposium avec d’autres DRH. J’ai réuni tous les DRH de grandes entreprises du territoire au cours d’un repas. La rencontre a bien pris, des liens se sont créés. Les DRH étaient satisfaits et le lycée, au coeur de la dynamique.
Autre exemple : On connaît en France le manque de chaudronniers et le taux de remplissage très faible des formations. Grâce à la collaboration des entreprises et des enseignants sur notre territoire, nous n’avons plus une seule place vacante dans nos sections chaudronnerie ! Pour cela, on a emmené des collégiens visiter des entreprises, ils ont rencontré des chaudronniers, parlé avec eux, etc. Aujourd’hui il y a plus de candidats que de places disponibles.
Un dernier exemple, pour conclure : lors de l’organisation d’un forum de l’emploi, grâce au comité Euralens qui réunit tous les acteurs du bassin minier, nous avons créé un catalogue qui permet à tout entrepreneur d’avoir un accès facile aux services proposés par les lycées du territoire (mise à disposition de salles de réunion, accès à des machines, formations spécifiques,…) avec le portable du chef d’établissement, pour une communication directe et réactive.
L’Application 16H44
Quand avez-vous accueilli un stagiaire pour la dernière fois ?
Imaginez une mission qui permettrait réellement à un lycéen de découvrir votre métier.
Quand avez-vous visité les ateliers du lycée professionnel de votre territoire ? Connaissez-vous les machines qui y sont utilisées ? Les compétences techniques des professeurs ?
Peut-être pourriez-vous faire usage de certains outils, apprendre à les utiliser, à former vos équipes.
Pour aller plus loin avec Marc Telliez :
– Découvrez ses « portraits » sur www.lyceesenez.fr
– Contactez Marc via 16h44 pour plus de conseils.
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C’est un bon commencement. En fait il faut aussi faire connaitre aux jeunes l’existence des métiers et dans une entreprise ou je travaillais on embauchait des professeurs l’été pour mieux connaitre les métiers. Ils pouvaient ainsi en toute connaissance de cause conseiller les jeunes de la réalité des messies et la preparation a avoir.
Aussi il manque une formation dans les écoles une formation pour montrer comment marche une entreprise et que le mot benefice aide tout le monde. Un bonne institution qui montre cela est Junior Achievement pourquoi pas la mettre comme club dans votre Lycée? :https://www.jaworldwide.org
Finalement l’école peut devenir le centre de la vie d’une localité c’est le concept du Community School.
Merci Marc pour ce témoignage au combien important dans une époque où on souligne le manque d’engagement de la jeune génération au travail.
Je retiens ta phrase: « L’engagement s’installe à mesure que chaque partie le nourrit. »
Il revient en effet à chacun de nourrir l’engagement présent et futur: les élèves, mais également les enseignants et les entreprises.
Est-ce une fatalité de voir des jeunes ne plus croire à une carrière longue en entreprise?
Quelles actions concevoir afin que chacun comprenne sa part dans la restauration d’une confiance mutuelle vers une évolution individuelle et collective profitable à tous?
Il y a de nombreux sujets à traiter aussi bien dans le milieu de l’enseignement que dans celui de l’entreprise afin de parvenir à une relation harmonieuse et empreinte de confiance avec ces jeunes qui en demandent qu’à apporter leur énergie et bénéficier d’un avenir professionnel intéressant.
Bravo pour tes actions et celles de tes équipes.