Loïc Delhuvenne : « En route vers l’intelligence collective »

 

“Pour diffuser les idées, il faut commencer par les laisser infuser en interne.”

 

L’Expert 16H44

 

 

L’Expert 16h44 du jour est franco-belge, diplômé de Sciences Po Bruxelles et spécialiste de la dynamique européenne et des fonds structurels. Après avoir été conseiller du Ministre Président du gouvernement wallon et conseiller européen pour la Ville de Tournai, il est aujourd’hui directeur général de l’Eurométropole.  Il développe avec son équipe la coopération au sein d’un territoire varié, composé de 157 communes et de plus de 2 millions d‘habitants, entre Courtrai, Tournai et Lille. Curieux, passionné de sport comme de littérature, Loïc Delhuvenne nous a parlé des enjeux particuliers d’un territoire transfrontalier et partage avec 16h44 quelques clés pour s’ouvrir au concept d’intelligence collective. 

*Ministre Président en Belgique équivaut à Premier Ministre en France

 

 

Loïc, faire collaborer des français, des wallons et des flamands au sein d’un territoire transfrontalier semble relever du défi… Comment as-tu abordé ce territoire si spécifique ?

 

Avec une équipe composée de 4 belges et 4 français.e.s, nous avons commencé par travailler en profondeur sur le sens de la mission et de ses enjeux. Notre agence s’est peu à peu conçue comme un véritable laboratoire de construction européenne, car il faut savoir qu’1 personne sur 3 en Europe vit dans un territoire transfrontalier, ce qui est beaucoup finalement. En matière de collaboration, dès que cela va mal (crise sanitaire comme celle que nous sommes en train de traverser avec la COVID-19 mais aussi les crises économique ou écologique) le territoire transfrontalier est un révélateur des dysfonctionnements et des incohérences.

L’important était d’établir un socle de valeurs et une approche commune du développement, que l’on pourrait dire inspirée de celle de Pierre Rabhi, du film “Demain” ou encore du concept de Earth Democracy, par exemple. Nous avons identifié un objectif clair, qui est de créer des ponts durables entre les différents territoires. Une fois que nous avions clarifié notre mission et esquissé notre démarche, il nous a semblé évident que nous ne pouvions prôner des valeurs sans les incarner nous-mêmes, en l’occurrence, puisque nous voulions promouvoir le collaboratif, il fallait commencer par là et donner l’exemple. 

Le projet ”Europe, je t’aime, moi non plus” a été l’un des premiers succès de notre démarche. Lors des 3 éditions, 300 citoyens ont co-construit à partir de leurs émotions, de leurs ressentis, avec des méthodes innovantes mettant en mouvement chacun, une vision originale et concrète de la façon dont ils vivent l’Europe. La dynamique créée s’est pérennisée et donnera lieu à la création d’un espace de dialogue entre 30 citoyens tirés au sort et 10 personnalités de la galaxie européenne.

 

 

Ton équipe fonctionne de manière particulièrement collective, d’où tire-t-elle cette force ?

 

Nous nous sommes concentrés sur le management interculturel au sein de l’équipe. Puisque dans une réunion, nous travaillons avec des français, des wallons, des flamands, des élus, des citoyens, des entrepreneurs, des membres d’association ou d’ONG, tout cela en naviguant entre différentes langues, il nous fallait déjà être en mesure de collaborer au sein de notre équipe, au-delà de nos différences.

Nous sommes sortis des chemins du management traditionnel pour intégrer d’autres concepts plus proches de nous. Nous nous sommes inspirés, sans le savoir à l’époque, de la théorie du développement conduite à Amsterdam et connue sous le nom de la théorie du Donut. Cela consiste à considérer les dimensions sociale et environnementale dans une logique inclusive. Nous nous sommes rendus compte que nous n’appliquions pas ce principe en interne, et cela a permis un rééquilibrage en fonction des talents de chacun plutôt qu’à partir de préjugés ou de jugements qui ont tendance à exclure un membre de l’équipe.

A l’initiative de mon équipe, nous nous sommes inspirés de la “spirale dynamique” que Nelson Mandela a particulièrement bien illustrée et incarnée, pour intégrer deux systèmes de pensée plutôt que de générer des clivages. Comme cette méthode est aussi pertinente pour le développement d’un territoire, d’une équipe ou d’un individu, nous l’avons adoptée après une formation collective, dispensée par https://www.becomeyoursuccess.fr.

 

 

Et avec vos collaborateurs.trices, comment avancez-vous sur le chemin de l’intelligence collective ?

 

Je dirais déjà que la dynamique est, par définition, toujours en construction, et que nous avons encore une belle marge de progression. Pour te répondre concrètement, j’évoquerais le travail mené sur la notion de posture

Lors des projets que nous menons, l’élu, le représentant d’une organisation, le citoyen ont des visions différentes et adoptent des postures qui les enferment. Dans ce contexte transfrontalier, les postures ont tendance à être exacerbées et particulièrement figées. Face à un participant qui souhaite ne parler que de lui, un citoyen qui au contraire veut d’abord s’attaquer à un représentant du pouvoir ou encore un avocat pour qui seule compte l’idée de défendre une vérité juridique, l’important est de trouver leur dénominateur commun, pour les faire avancer ensemble. Le mariage forcé ne marche jamais, il faut activer l’empathie pour une à une dépasser toutes les contraintes.

Cette étape est fondamentale pour que le groupe bascule en situation de collaboration intelligente, premier pas vers l’émergence de projets collaboratifs. Comme si nous étions un incubateur de convictions. Notre travail est de trouver en chacun la disposition au collaboratif, que cela lui devienne confortable et que la mayonnaise prenne.  

Cet “art de la posture”, nous nous le sommes approprié pour pouvoir peu à peu le diffuser au sein des projets. Comme l’a montré Amin Maalouf dans “Les Identités meurtrières”, chaque personne embrasse plusieurs identités. Dès lors, nier une identité génère de la résistance ou de la violence. Alors que l’intelligence collective permet de tirer le meilleur du patchwork des cultures, comme un vaste programme Erasmus !

 

 

Concrètement, comment t’y prends-tu pour conduire une réunion d’intelligence collective ?

 

Pour générer de l’empowerment, et tirer parti de la puissance de la systémique, je me suis inspiré d’une technique puissante, dite en U (voir lien ci dessous), mise au point au MIT. Elle comprend les 5 phases suivantes :

– Construire une intention grâce à l’écoute des autres 

– Percevoir en commun par l’observation

– Exercer une présence réelle et clarifier la volonté

Co-créer un nouveau prototype

– Évoluer en groupe vers de nouvelles perspectives

Techniquement, que vous débutiez ou non dans cette approche, il faut veiller au respect d’un cadre et de principes tels que :

– écouter avec attention 

– parler avec intention 

– se faire confiance 

– être bienveillant 

 

L’animation d’une réunion de ce type requiert un engagement total (cœur, tête, corps) pour mobiliser les participants, les mettre en mouvement et les rendre eux-mêmes acteurs. Elle demande un engagement physique, presque sportif et je recommanderais de déléguer les rôles de gardien du temps et de rédacteur pour économiser son énergie et la consacrer exclusivement à l’émergence de l’intelligence collective. 

Le lâcher-prise est primordial pour permettre au groupe de s’éveiller. C’est un exercice exigeant auquel on accède peu à peu, à force d’expérimenter, d’échouer, de recommencer.

Je souhaite à tous de vivre l’expérience de l’intelligence collective.

 

 

L’Application 16H44. 

Pour s’exercer à l’intelligence collective

  • Testez avec votre équipe :
  • Imaginez avec votre équipe de nouveaux outils. Clarifiez la spécificité de vos fonctionnements et de vos objectifs. Développez collectivement le mode agile. Libérez la parole.
  • Prenez du plaisir et ancrez chaque succès. Cela vous donnera confiance pour installer cette approche plus durablement dans la gestion de vos projets cruciaux. 

 

1 commentaire sur “Loïc Delhuvenne : « En route vers l’intelligence collective »”

  1. Merci pour l’exercice de cet article qui aide à faire le focus sur les ouvertures vers un autre paradigme sociétal bon dans le monde.

    Intelligence Collective : le cas pratique d’une agence de 8 collaborateurs au service de la collaboration transfrontalière
    A partir de 2016: notre équipe se met en condition de libérer l’Intelligence Collective de son système. Elle se forme ensemble. Elle acquiert dès lors une conscience d’elle-même et développe sa dynamique propre de groupe.

    Qu’est-ce qui a changé depuis lors ?
    · une dynamique de groupe apprenante
    · un repositionnement de type : « INTENTION, ATTENTION, NO TENSION »
    · des méthodes internes en évolution constante
    · une communication transparente accélérant le processus de stimulation
    · de l’autonomie accrue et responsable
    · une expertise pointue de nos métiers
    · une pratique « essai-erreur » osant explorer des pratiques nouvelles
    · une ouverture du cœur et de l’esprit
    · une mission commune : « Créer des ponts et tisser des liens ».

    Le point de départ ? Une situation « CRASH ».
    Quand on connait un « CRASH » interne, deux voies sont possibles. (Dé)périr ou (Re)naître. Et quand on n’a plus rien à perdre, … on a tout à gagner !

    Et puis, nous nous sommes fait accompagnés de facilitateurs du changement. Ces derniers nous ont aidé à regarder le CRASH comme une pépite qui nous tombe dessus plutôt que comme la fin du monde. Avec notre leader Loïc Delhuvenne qui a su développer en cours de route son côté « visionnaire » en s’appuyant sur nos complémentarités.

    Oui, c’est tout-à-fait possible. C’est vraiment une question d’intention et un cycle vertueux de prise de conscience.

    A votre disposition pour en témoigner.
    Inês

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