« Entrepreneur, vous ne pouvez plus prendre le risque de ne pas connaître votre territoire »
L’Expert de 16 H44
Disciple de Michel Godet, Vincent Pacini est un serial entrepreneur, Docteur en économie, initiateur des démarches courtes en prospective, accompagnateur de dynamiques de territoire, particulièrement réussies ( Yonne, Annecy…), il est aussi enseignant chercheur (CNAM Paris, IAE Lyon, IEP Lyon).
Sa légère pointe d’accent exprime toute l’énergie, tout le dynamisme et toutes les convictions qu’il partage et essaime auprès de ses interlocuteurs. Posez-lui une problématique complexe et généreusement, dans la minute, il vous ouvre un nouvel angle de vue toujours pertinent, et trois ou quatre clés simples et puissantes pour passer à l’action.
Vincent, selon vous, il est vital pour le dirigeant, aujourd’hui, de se connecter à son territoire. Pourquoi donc ?
Il y a 30 ou 50 ans , cela n’était pas vital, car une fois l’entreprise démarrée, elle évoluait dans un environnement relativement stable. Aujourd’hui, le Manager se trouve, qu’ il le veuille ou non, dans un « écosystème territorial » qui bouge vite, de plus en plus vite et dont les règles elle-même changent rapidement.
Nous vivons dans un territoire qui a muté or nous continuons parfois à le regarder avec les lunettes d’il y a 50 ans.
Comment cela peut-il se traduire, concrètement ?
Dans le petit village de Naucelle (Aveyron), à l’instar de nombreux « centres Bourg », certains commerçants n’ont pas intégré le fait que la majorité de leurs clients habituels passaient l’essentiel de leur temps hors de Naucelle. Ils ont périclité. D’autres ont compris que leurs clients passaient la journée à Rodez ou Albi. Ils ont modifié leurs horaires et inventé des services adaptés et ont retrouvé un dynamisme.
Ce constat touche également les entreprises (grands groupes, franchises, banques….) qui disposent d’un réseau d’agences réparties sur le territoire français. Les agences qui offrent les meilleures perspectives de développement sont celles qui sont bien « connectées » à leur écosystème territorial.
J’ai accompagné une entreprise qui vend des produits dans le monde entier. Son territoire a bien des routes (que l’on considérait jadis comme l’élément clé du développement économique) mais pas le très haut débit, pas l’attractivité pour les cadres supérieurs, et pas les centres de recherche ni autres services immatériels qui l’aideront à inventer les produits de demain (fablab par ex).
Cette entreprise peut-elle rester sur ce territoire tout en maintenant sa performance ?
Il faut savoir qu’en France 70 % des créations d’emplois dans le privé ont eu lieu dans les 7 principales métropoles.
Je comprends bien l’importance du territoire, mais quelle est la marge de manœuvre d’un dirigeant pour adapter « l’écosystème territorial » à ses besoins ?
Le préalable indispensable est de comprendre son territoire et de vérifier s’il lui est adapté.
Trois stratégies sont possibles pour lui :
– La stratégie de l’ignorance : Puisque cela a marché jusqu’alors, prions pour que ça tienne.
– La stratégie de l’évitement : Ce territoire n’est pas adapté à mon développement et je vais devoir le quitter. C’est une question que se posait une start-up de la robotique dans un environnement rural entre Lyon et Paris. Il a, pour sa part, pris l’initiative d’interroger tous les acteurs du territoire et de construire une solution avec eux.
– La stratégie de l’adaptation : Puisque je suis ancré sur ce territoire et que je dois recruter de jeunes ingénieurs peu enclins à venir tous les jours dans mon village, je mets en place des solutions de coworking, de télétravail. Dans le cas que j’ai suivi, cela s’est même traduit par des effets très positifs sur l’organisation.
Cette stratégie d’adaptation peut se décliner seul, parfois, mais bien plus souvent avec l’aide du collectif (cf. les réussites du cluster de Florence dans le domaine de la rénovation des œuvres d’art ou l’expérience de Jazz à Vienne, ou de SPI SOFTWARE qui créent une dynamique et des richesses pour le territoire (cf. le succès des dynamiques de clubs d ‘entreprise, comme en Artois par ex…).
Le dirigeant peut aussi moduler les trois stratégies. Mais la clé, après s’être interrogé, est de s’y connecter de manière permanente, car son écosystème est en évolution permanente, et ce, de plus en plus vite.
Le territoire n’est-il donc qu’une contrainte de plus à gérer, en plus de toutes les autres contraintes pour l’entrepreneur ?
Ça, c’est la version pessimiste ! En fait, se connecter à son territoire vous amène de nombreux avantages. La bonne nouvelle, c’est que le territoire est devenu un élément clé de la performance, et bien plus que vous ne l’imaginez.
Lorsque vous vous connectez à votre territoire :
– Vous découvrez de nouvelles opportunités, par exemple pour mieux gérer votre consommation énergétique, qui deviendra une composante forte de votre business. Ou pour gérer vos déchets, autre composante qui va vous impacter bien plus demain qu’aujourd’hui, ou encore trouver de nouveaux fournisseurs et de nouveaux clients.
– Lorsque vous connaissez finement votre territoire et ses entreprises, vous pouvez optimiser votre spécificité et vous démarquer auprès de vos clients.
Autre bonne nouvelle, comme vous le savez la valeur d’un panier de biens est supérieur à la somme des biens. Alors intégrez le territoire dans votre package produits et vous créerez de la valeur, tout en faisant avancer, un peu votre écosystème.
Il y a des dizaines de façons de le réussir (par rapport à l’histoire du territoire, sa culture, ses richesses, musées, traditions…)
Pour approfondir les aspects théoriques sous-entendus par cette interview, vous pouvez nous contacter afin que nous puissions vous envoyer le texte complet de la réflexion de Vincent.
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16 h 44 L’Application : Expérimentez « La Minute Manager »
1/ Vous êtes plutôt un entrepreneur « présentiel » (cela signifie que votre CA dépend surtout de la population et des revenus de votre territoire (par ex un commerçant, un artisan, une société d’informatique locale, une profession libérale)
Demandez vous :
- Où travaillent les gens de mon territoire (Insee, études CCI,..) ?
- A quelle heure rentrent-ils ?
- Quels services j’apporte aux « pendulaires »?
- Mes horaires sont-ils adaptés à leurs besoins ?
- Quels services leur changeraient positivement la vie ?
- Suis-je prêt à proposer mes services près de la gare, à leur sortie du train ?
- Quelle différenciation pour me rendre unique ?
- Comment accéder à mes clients lorsqu’ils sont en dehors du territoire ?
- Comment capter les clients des autres territoires ?
2/ Vous êtes plutôt un entrepreneur « résidentiel » (cela signifie que votre CA dépend surtout de la population qui passe sur votre territoire (Par ex un hôtelier, un restaurateur, une activité touristique ou culturelle ….)
Demandez vous :
Qu’apportez vous de plus ?
- Comment êtes-vous connectés avec les entreprises de votre territoire qui reçoivent les touristes ?
- Où sont les lieux de passage ? Où sont les lieux pour capter le client ? Quel est le meilleur moment ?
- Comment vous êtes vous connectés à d’autres entreprises et partenaires de votre territoire ?
- Pour développer une offre à plus grande valeur ajoutée et faire évoluer l’écosystème à votre profit
- Pour créer un produit à plus forte valeur ajoutée en ajoutant la composante territoriale
3/Vous êtes plutôt un entrepreneur de la « sphère productive » (c’est-à-dire dont la CA dépend de la croissance des marchés à l’extérieur du territoire, comme une grande industrie)
Demandez vous :
- Où habitent vos collaborateurs ?
- Combien de temps passent-ils dans les transports ?
- Comment avez-vous développé le coworking, le télétravail pour augmenter ta productivité ?
- Comment traitez-vous la problématique de l’énergie ou du recyclage?
- Sont elles traitées avec des acteurs du territoire ou à l’externe?
- Quels sont vos projets de développement ? Les menez-vous seul, au sein de votre groupe, ou avec des entreprises locales ? Comment les détectez-vous ?
- Quelle stratégie pour recruter les talents?
- Qu’est-ce qui vous manque pour les attirer et comment y répondre collectivement ?
- Quelles sont vos demandes claires au territoire ? Comment et à qui les formulez-vous ?
- Que pouvez-vous lui apporter?
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Très belle interviewe de Monsieur PACINI; merci à lui.
La connaissance par le dirigeant d’entreprise du tissu économique du territoire sur lequel il est implanté est effectivement primordiale et fait partie intégrante de son ancrage territoriale.
Prendre du temps pour connaitre le savoir faire de ses voisins et réciproquement faire connaitre le sien est source de rencontres improbables et de développement de courants d’affaires de proximité souvent insoupçonnée.
Merci pour votre commentaire. Encourageons les acteurs des territoires (privés et publics) qui se mettent en action autrement pour inventer un nouveau modèle de relations afin de mieux utiliser les ressources et les opportunités de développement disponibles sur leur territoire et en dehors.
Nous avons la chance en Region Auvergne Rhone Alpes de bénéficier des conseils, de l’énergie, de l’ouverture d’esprit de Vincent pour faire bouger les choses et changer le regard sur les territoires.
Nous comptons sur toi à Aradel ! (Réseau des développeurs économiques)
Aradel, un modèle en matière d’innovation et ‘d’efficacité en développement économique 🙂
Bonjour Vincent,
Merci pour ce « positionnement » iconoclaste. Vous dites que le territoire bouge vite et c’est une raison pour se connecter au territoire mais quel rôle pour le projet de territoire aux yeux des entrepreneurs ? De plus les jeunes entreprises, même bien connectées, ont de fonds propres pour grandir et pour cela, elles doivent quitter le territoire… votre propos n’est-il pas trop tourné vers les entreprises de la base résidentielle ?
Non je ne pense pas. Je propose un questionnement spécifique sur les entrepreneurs de la sphère productive (point 3) qui pourrait être développé notamment sur le volet R&D, la recherche de financement, l’intégration dans des réseaux d’affaires… et c’est pour cette raison qu’un projet de territoire bien pensé peut être un vrai levier de développement pour les entreprises de toutes tailles. A ce titre, il faudra surveiller l’expérience du projet de territoire de l’Ouest Aveyron qui va développer avec en collaboration avec les collectivités (Grand Rodez, PETR) et les entreprises du territoire un incubateur/accélérateur des projets numériques (hors métropoles). Ce projet permettra aux entrepreneurs publics et privés de bénéficier de ressources pour se développer sans être obligés de quitter leur territoire d’origine.
Merci et bravo pour cette présentation et cet angle, comme toujours « avec 2 ou 3 idées puissantes ».
Cette tendance s’observe déjà de manière significative non ? Aussi bien au niveau des collectivités (partenariats publics/privés, organisation d’un écosystème territorial, marketing territorial,…) que des entreprises (stratégies de mise en réseau notamment). Dirais-tu qu’il y a un business derrière cette idée ? Aider les entreprises à se connecter comme on peut les aider aujourd’hui à se digitaliser ?
Ta remarque met en évidence une mutation qui va être déterminante pour le développement des entreprises et des territoires dans les prochaines années. Nous sommes rentrés dans l’économie de la connaissance qui cohabite avec une modèle d’exploitation et de valorisation des ressources qui n’est plus en phase avec les enjeux économiques, sociétaux, environnementaux. Il ne faut pas les opposer mais les combiner.
Les ressources fondamentales pour générer de la valeur sont de plus en plus celles de l’intelligence partagée, de la collaboration et de la créativité (des flux) et non celles des stocks (du foncier, des routes, de la main d’œuvre locale…). Cette mixité entre ces logiques de flux et ces logiques de stocks redéfiniront ou pas les spécificités territoriales. C’est l’ère de la connectique territoriale !