Carole THYBAUT : « Manager, c’est s’adapter »

 

L’Experte 16 h 44

 

Carole Thybaut est experte en « nouveaux départs » et executive coach en management interculturel. Riche d’une expérience pleine de changements de caps qui l’ont amenée de la ferme familiale à l’ingénierie chimiste puis au management international, de la France aux Émirats Arabes Unis en passant par l’Inde et la Russie, cette entrepreneure a su de nombreuses fois s’adapter aux différents environnements culturels et aux multiples sphères professionnelles qui l’ont accueillie. Aujourd’hui, elle nous parle d’adaptabilité.

 

Carole, pourquoi prônes-tu l’adaptabilité plutôt que la flexibilité ?

 

Les deux termes renvoient à l’idée de souplesse dans son fonctionnement, mais je dirais que la flexibilité a un caractère plus ponctuel, là où l’adaptabilité nous transforme durablement. Les changements s’inscrivent plus profondément en nous, alors que l’effet est plus passager pour la flexibilité.

Surtout, l’adaptabilité permet d’appréhender n’importe quelle situation tout en restant soi-même. On ne se renie pas, bien au contraire, en s’adaptant, on explore de nouvelles facettes de nous-même, on s’ouvre à de nouvelles postures, à de nouveaux fonctionnements, et on se les approprie selon nos règles. C’est à mon sens une attitude bien plus active que la flexibilité.

Par exemple, un manager peut osciller en étant parfois très directif et d’autres fois octroyer une grande autonomie à ses équipes, selon l’attitude que nécessite chaque situation. Pour s’adapter aux enjeux particuliers sans perdre de vue ses objectifs ni son identité de manager, il lui faut être attentif au contexte, à son équipe, à son organisation. Il doit réévaluer constamment sa démarche, être conscient du rôle qu’il joue au sein de l’entreprise et surtout ne pas se figer, par inertie.

Le monde dans lequel nous vivons est volatile, incertain, complexe, ambigu (VICA/VUCA), il est donc particulièrement important aujourd’hui de savoir faire preuve d’adaptabilité.

D’ailleurs, le Forum Économique Mondial l’a mis en avant des compétences plus particulièrement nécessaires aux leaders d’aujourd’hui et de demain, tout comme la créativité, la capacité à gérer des problèmes complexes, mais aussi l’intelligence émotionnelle. Le management interculturel donne une grande place à cette notion, qui concerne de fait toute situation managériale.

 

Comment un manager peut-il concrètement gagner en adaptabilité ? 

 

Le plus important est de bien dissocier l’idée d’adaptabilité liée à la notion de liberté et de responsabilité personnelle face à un changement d’environnement (quel est mon impact ?)  et celle d’une certaine passivité qui fait subir le changement, sans changer ses habitudes ni ses comportements, de manière instable et non durable. Ça n’a rien à voir ! Ensuite, pour développer cette compétence que l’on a tous plus ou moins en nous, il faut prendre conscience de notre résistance naturelle au changement. C’est le principe de l’homéostasie, tout système vise à maintenir l’équilibre de son milieu intérieur, quelles que soient les contraintes externes. Il faut travailler sa capacité à s’adapter pour aller contre l’immobilisme, qui a, a priori, quelque chose de rassurant.

C’est pourquoi je recommande de commencer par questionner ses propres rigidités, à savoir identifier les principes de nos fonctionnements auxquels on se réfère sans les avoir réellement conscientisés :

Y a t-il des tabous dans l’entreprise ? Quels domaines ou quels sujets ne sont pas ou peu discutés ?

Quels fonctionnements ne sont pas admis, qu’est-ce qui “ne se fait pas” ? Au contraire, sur quels principes ou quelles valeurs l’entreprise repose-t-elle ?

 Comment est ma relation avec mon équipe ? Sur quels types de relations repose-t-elle ? Suis-je prêt à les voir évoluer ?

Est-ce que je suis des conseils ou des façons de faire d’autres managers ? Qui m’inspire ? Est-ce que cela est cohérent avec ce que je souhaite mettre en place ?

Et bien sûr, une fois notre socle de croyances, de préjugés ou de fonctionnements par défaut identifiés (notre mode automatique, rigide), il convient de les mettre en question, de se demander ce qui mérite d’être actualisé, abandonné, conservé.

C’est très difficile de mettre fin à de vieilles habitudes, et ce, même si elles ne sont plus pertinentes, mais faire en quelque sorte un bilan complet permet de voir plus clairement certaines incohérences ou automatismes qui ne sont plus efficaces aujourd’hui et aide à s’en défaire.

La méthode de « l’appreciative inquiry » qui consiste à mettre l’accent sur ce qui fonctionne bien, me semble tout à fait intéressante, en ce sens qu’elle focalise sur le sens de ce qui marche bien dans le contexte du changement et de l’évolution à imprimer.

 

En plus de parvenir à se changer soi-même, le manager doit réussir à emmener avec lui son équipe…

Est-ce périlleux de ne perdre personne sur la route du changement ? 

 

Il faut réussir à diffuser un état d’esprit du changement au sein de ses équipes.

Cela suppose en premier lieu de leur donner les moyens d’être autonomes et performants. L’adaptabilité se nourrit de celle des autres, et notamment de celle de l’équipe qui rendra effective l’adaptation. Le manager peut l’insuffler en permettant à ses collaborateurs/trices d’évoluer, de prendre du recul sur les objectifs globaux, en encourageant l’échange, la remise en cause aussi. Accepter l’erreur comme étape d’apprentissage est nécessaire.

En accompagnant des cadres qui ont dû faire face à des changements majeurs dans leur activité, je me suis rendue compte à quel point, à titre individuel, l’adaptabilité est une ressource essentielle. Elle permet de participer au changement au lieu de le subir. Et il n’est jamais trop tard pour la développer !

 

Y a t-il des risques liés à l’adaptabilité ?

 

L’injonction paradoxale du “sois adaptable” est dangereuse. On aura toujours des zones de rigidité. Elles sont structurantes, rassurantes, et même nécessaires puisque le lâcher prise n’est possible qu’avec de solides appuis, constitués de stabilité et de confiance. Par ailleurs, chacun a son propre rythme, tout le monde n’avancera pas de la même manière sur les mêmes sujets. Il faut prendre cela en compte et l’intégrer dans le processus, sans oublier que chaque composante a ses propres limites en termes de changement : l’adaptabilité humaine, le process, les outils…

 

As-tu un dernier conseil pour nos lecteurs, un enseignement tiré de ta propre expérience ?

 

Nous vivions aux Emirats Unis quand il a fallu migrer en Russie. Je me croyais extrêmement adaptable et ouverte au changement. Je venais d’expérimenter des changements climatiques et alimentaires plutôt extrêmes, je changeais de collègues, d’environnement pour les enfants,  je baignais dans une nouvelle langue… Ma RH m’a fait passer un test d’évaluation et là, stupeur ! Il indiquait que je n’aimais pas le changement. L’excès de changements m’avait en effet rendue rigide, probablement pour garder un minimum de solidité, et oui, même si je le vivais l’adaptation au quotidien, je n’étais absolument pas dans une zone de confort et n’aimais pas cela du tout ! Ça a été une belle prise de conscience ! Décider de développer mon adaptabilité et d’assumer activement ma responsabilité dans mon adaptation au changement a été alors d’un grand secours.

N’essayez pas de tout changer d’un coup et surtout, n’oubliez pas de ponctuer chaque changement de moments de plaisir. Gardez près de vous une personne externe, neutre et bienveillante, pour vous apporter un éclairage lucide si nécessaire.

 

 

 

16h44 : L’Application

 

Tentez d’identifier vos zones de rigidité en répondant aux questions proposées ci-dessus par Carole. Vous pouvez aussi en discuter avec un proche, un collaborateur.

Identifiez un domaine ou une situation précise que vous aimeriez voir évoluer. Expérimentez un nouveau comportement, observez ce que cela implique. Pointez vos difficultés, les choses sur lesquelles il vous est difficile de lâcher prise, et demandez-vous honnêtement ce qui s’y joue.

En réunion, modifiez quelque chose dans votre attitude, et constatez les effets. Confiez à un collaborateur une tâche que vous avez pour habitude d’accomplir, ou l’inverse, et voyez l’impact de cette autre manière de faire. Proposez de discuter un point d’organisation qui est rarement abordé et confrontez les points de vue. Il est toujours enrichissant pour un manager de faire un pas de côté et d’observer ce qui se joue dans l’équipe à l’annonce d’un changement.

 

Retrouvez  Carole et son cabinet CTWY au  33 6 14 88 68 93 ou sur linkedin.com/in/carole-thybaut

 

6 commentaires sur “Carole THYBAUT : « Manager, c’est s’adapter »”

  1. Bonjour Carole,
    Merci pour cette très belle énergie que vous avez insufflée à travers cet article.
    A travers le VICA/VUCA vous nous avez rappelé que nous sommes au 21ième siècle et qu’il serait bon de revisiter la fonction managériale afin qu’elle s’aligne sur les énergies de notre époque. Ce qui revient à dire qu’il est indispensable de s’adapter pour « survivre  » (Darwin).
    Bien que je partage totalement votre point de vue, je ne m’illusionnerai pas de trop. D’une part parce que votre analyse fait fi du contexte organisationnel qui peut ne pas avoir intérêt à ce que les choses changent. On peut individuellement constater que le bateau coule (l’entreprise) et sentir profondément ce besoin de changement mais ne rien pouvoir faire. D’autre part vous évoquiez le fait « d’accepter l’erreur comme étape d’apprentissage ». Là pour le coup je ne vous suis plus ! Car dans un premier temps il faudrait s’entendre ce qu’ « erreur signifie », et dans un deuxième temps de considérer que « management » signifie que l’erreur est descendante. Pôle emploi accueille régulièrement des salariés de tout type qui ont pointé du doigt l’erreur du manager.
    Personnellement, et pour avoir fait de la recherche sur le sujet, je ne crois pas à l’entreprise apprenante, mais c’est un autre débat.
    Merci pour ce partage et meilleurs voeux 2020 !

    1. Bonjour Jean-Pascal et merci pour votre commentaire.
      Bien sûr l’adaptabilité fait partie d’une approche systémique qui s’applique aussi à l’organisation, à l’équipe et à l’environnement global de l’entreprise ( clients, fournisseurs et autres parties prenantes). La marge de manoeuvre du manager dépend de nombreux facteurs, dont celui du contexte spécifique de son organisation. Le moment n’est pas toujours favorable, il faut parfois savoir attendre, accepter d’avancer via des ajustements mineurs, développer une certaine tempérance, ce qui est aussi une forme d’adaptabilité.
      Vous connaissez peut-être ce qu’on a appelé la prière de Marc-Aurèle qui me semble être un bon guide sur le chemin de l’adaptabilité  » Avoir la force de changer ce que je peux changer, le courage d’accepter ce que je ne peux pas changer et le discernement de faire la différence entre l’un et l’autre ».
      Très belle année 2020 à vous aussi!

  2. Excellente approche de la part de Carole,
    Rester authentique tout en s’adaptant aux besoins des autres pour avancer ensemble.
    Est-il possible de laisser un collaborateur qui ne souhaite pas avancer avec l’équipe ? grande question, faut-il sacrifier l’équipe pour une personne ou maintenir l’équipe en gardant le vers dans la pomme !
    Je suis preneur de vos suggestions et retours…
    Cordialement

    1. Bonjour Frédéric et merci pour votre commentaire,
      Accompagner l’autre à changer n’est guère aisé ; l’accompagner pour comprendre ses blocages, ses freins, ses doutes peut amener à dénouer une partie des résistances. Le coaching peut être un outil intéressant pour inviter à une prise de recul et pourquoi pas permettre au vers ( à la chenille) de se transformer en un joli et très utile papillon pollinisateur au printemps suivant ( comme ces collaborateurs très réfractaires au changement, qui, une fois convaincus, prêchent la bonne parole du changement aux autres!).
      N’hésitez pas à me contacter si vous souhaitez en échanger de vive voix,
      Bien à vous,

  3. Bonjour Carole,
    J’ai eu un blocage hier en formation de management : toi, que mets tu derrière la phrase types de relation dans les relations au sein de l’équipe et avec le manager ? Qu’entends-tu pas types de relations ?
    merci de ta réponse à venir
    Cdlt

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